Si on essaie de résumer vingt-huit années palpitantes, je dirais...

Enfance tendre. Très tendre. Je suis entouré de parents merveilleux qui me chérissent de tout l'amour qu'ils peuvent me donner.

Mes journées se passaient à *******, un petit village très paisible. A peine une centaine d'habitants... C'est pour dire ! Avant de connaître l'enseignement, je passais des journées entières avec ma mère. Elle me parlait beaucoup ; j'ai, dès lors, appris à parler très tôt. Je dirais... Vers deux ans. Oui, je bégayais mes premiers mots à cet âge-là.

Mon père, lui, travaillait durement dans les champs. Nous ne manquions de rien. Certes, je le voyais peu souvent. Mais c'était pour notre bien à tous. Je l'aimais beaucoup.

Vers mes six ans, je fais des rencontres. Je me lie d'amitié fusionnelle avec une personne : Jinn, le dauphin du royaume dans lequel je vivais. Cette personne fut ma moitié, mon complice pendant longtemps.

Treize années : un nouvel être vient au monde. On l'appela Ben. J'étais réjoui par cette heureuse nouvelle, mais je finis vite par ressentir une profonde jalousie ; les parents n'avaient d'yeux que pour lui. Ma mère ne m'accordait plus autant de temps... A cela s'ajoutait l'impossibilité pour Jinn de maintenir les liens si solidement noués que nous eûmes entretenus. Un homme issu d'une dynastie aisée n'a que faire d'une pauvre fifre, d'un paysan comme je suis.

J'avais peur de devenir cruel, méchant et rancunier. Je me suis dit qu'il valait mieux que je m'en aille.

Je partis, sans même donner de nouvelle. Je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent. Je voulais aussi sentir à plein poumons la Liberté, avec un grand L. Peut-être que ça m'aiderait à m'ôter toute mauvaise pensée de la tête.

Je voyageai à travers le monde que je connaissais. Ma route s'arrêta à ******, où je fus attiré par un bâtiment plutôt imposant. C'était une église. Je n'avais jamais vu ce genre de construction ; j'étais habitué aux fermes, aux huttes, aux cabanes.

Cette église apporta un tournant primordial dans ma vie. Je fis la connaissance d'une confrérie secrète, une sorte de clan tapis dans l'ombre, prêt à surgir pour éradiquer les menaces contre le royaume si seulement elles avaient lieu d'être.

Ils portaient tous de longues robes blanches. Leur visage était encapuchonné pour paraître mystérieux, pour ne dévoiler aucun sentiment, aucune faiblesse... Et ils étaient tous dotés d'un sabre. J'étais passionné par ce qu'ils faisaient, je voulais absolument les rejoindre.

Certains étaient là depuis des décennies. J'y suis resté cinq ans, faute de vouloir plus de liberté et plus de péripéties, les cours m'étant devenus trop répétitifs. J'avais dix-huit hivers, et j'étais en soif de puissance, d'extase...

Mon chemin me mena aux montagnes de ******. Un froid glacial y régnait en permanence. Je mis du temps à m'y habituer et à y élire domicile. J'étais très seul, ma famille me manquait, au fond. Mais pour moi, il n'y avait rien de plus jouissif que de profiter pleinement de sa liberté, d'aller où on veut...

Pendant dix années, j'errais en ermite. Je faisais parfois des aller-retours jusqu'à des villes pour pouvoir emprunter aux lieux communs de quoi m'instruire. J'avais toute la vie devant moi. Chaque jour, j'étais heureux, je me disais que, demain, il y avait une probabilité de trouver la perle rare...

Je quittai les montagnes, las de devoir errer dans un lieu que je connaissais, dès à présent, par cœur.

Ma curiosité était devenue telle que je me suis toujours demandé ce qui se trouvait au-delà des océans. On nous racontait qu'il y avait d'autres régions, très éloignées ; d'où l'explication suivante : on ne voit rien aux horizons. L'eau est à perte de vue...

Embarqué dans un de ces navires naviguant vers l'inconnu, mon coeur palpite à l'idée d'élargir mes horizons. J'étais seul dans cette quête, mais ça, je m'en moquais. Je savais qu'il y aurait tout, sur mon chemin : livres, sourires, personnages, ... voire ennemis. Mais quelque part, on me tendrait la perle rare.

Je suis Chris Scale... Et mon histoire n'est pas finie.

Chris Scale, Hiver de l'An 112

Jour 1

Mon voyage s'est terminé d'une façon plutôt satisfaisante. Cette bande de marins soiffards distraits par les richesses m'ont laissé sur ce continent pour le moins... Mystérieux. Une île ? Je n'en sais rien. Ce que je sais... C'est que je suis nu, dans une baie déserte, mes habits séchant sur une branche d'arbre non loin. Il fait relativement chaud, ça change du climat glacial dans lequel j'ai vécu au quotidien. Mais il y a quand même très peu de chaleur. Les ressources alimentaires sont rares. Je ne me nourris que de quelques feuilles d'églantier et de consoude préservées malgré la saison hivernale. Étant donné leur rareté, je devine de suite que des provisions s'imposent...

Si tu savais, petit frère... Je suis abattu, fatigué de ce long voyage où j'ai passé 2 mois sous la séquestration d'autres. Mais je suis excité. Je ne me soucie plus à l'idée de vous croiser malencontreusement ; non pas que je sois encore rancunier, mais je voulais m'éloigner de sorte à ne pas revenir vous voir si j'avais besoin d'aide. Les parents m'ont oublié, depuis... Mais toi ? Soupçonnes-tu au moins mon existence ? Je le saurai un jour. Et puis, je n'ai personne d'autre à qui m'adresser. Alors considère ce récit comme une confession.

Enfin, tu ne m'en veux pas, petit frère. Mais j'ai faim, je refoule le poisson des lieues à la ronde, et j'ai besoin de me mettre à l'aise. Je vais m'arrêter ici pour aujourd'hui.

Chris Scale, Hiver de l'an 112

Jour 2

Je progresse sur un territoire que je ne connais pas, dans une forêt où tous les arbres, hormis les sapins, n'ont plus la moindre feuille. Elles sont à terre. Elles craquent sous mes pas, ce qui ne m'assure pas une discrétion des plus avantageuses... Mais c'est ainsi que j'avance, me dirigeant par ce qui me semble être le Nord.

Dans l'après midi, je ne tarderai pas à croiser une personne. Visiblement un itinérant, comme moi. Il avait un chapeau vert pointu avec des motifs ornés en sa base. En fait, il était complètement vêtu de vert. Ses cheveux étaient marrons, mi-longs, libres. Son regard était perçant, ce qui laissait à deviner qu'il avait une certaine confiance en lui. Bien curieux personnage... Mais le plus étonnant, petit frère : il n'avait pas de nez. Une prothèse en bois, voilà ce qui substituait cet organe manquant.

Bizarrement, mon instinct ne permettait pas de déterminer s'il s'agissait de quelqu'un de malveillant. Mais une chose était dorénavant sûre : sur cette île, il y avait des lieux civilisés. Malgré mon identité totalement masquée et ma confiance inébranlable, il parvint tout de même à me faire tomber de haut. Alors qu'il posât une main sur mon épaule comme pour signifier un geste courtois, celui-ci me dit : "Les rencontres que tu feras dans non moins de sept jours apporteront un tournant décisif à ta vie, Scale."

Il savait mon nom, je ne su comment. Mais je ne ressentais nullement l'envie de l'agresser pour cette offense à ma vie privée. Peut-être un prophète ? ... Les dernières paroles qu'il daignât m'adresser furent celles-ci : "Pif en bois te salue".

Chris Scale, Hiver de l'An 112