Et le jeune Chris déambulait. [Avec Megara Waïtevragh]

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Le temps était frais, humide. La lune terminait lentement sa course, à en croire que le matin se lèverait dans peu de temps. Chris marchait à pas lents, imprimant de profondes traces dans la poudreuse qui tapissait abondamment le sol. Il continuait de parcourir un chemin le menant de plus en plus en altitude, certes, mais ne donnant aucun accès sur le vide. C'est comme s'il circulait dans une petite brèche, cerné par deux falaises. Il continuait de grimper, la tête baissée, entièrement encapuchonnée ; sa silhouette laissait paraître un être entièrement vêtu, dont une seule partie se trouvait à l'air libre : les mains. Nul ne pouvait voir son visage, mais aussi fallait-il qu'on aperçoive l'humain dans un tel lieu... Un désert blanc. Lui, était seul, son revêtement en parfaite harmonie avec la neige. Les deux éléments se confondaient à n'en faire qu'un.

Voilà une trentaine de jours que Chris avait accosté le royaume d'Haarkon. Jusque-là, il n'avait croisé que des êtres humains au regard insouciant, heureux. Tout ce qu'il y avait de plus normal. Aussi, l'homme n'avait pas idée de l'histoire du royaume, il était parfaitement ignorant quant à ce que les humains avaient subi. Mais là n'était pas le problème. Chris avait encore gardé ses manières d'ermite, et le premier réflexe qui lui vint était de dérober un livre sur les différents langages pratiqués en ces contrées, ainsi que se diriger au Nord. Il voulait absolument connaître les territoires les plus rudes, les moins accueillants. Une sorte de défi.

Nourri par ses songes, la réalité glacée bouleversa le jeune homme qui s'arrêta net. Le fait de marcher à demi-éveillé supprimait en lui toute notion du temps. A force d'avoir vécu dans les lieux les plus glaciaux, il arrivait à supporter le froid climat qui régnait en de tels lieux. Il releva la tête, se massant les yeux pour focaliser toute son attention sur les environs. Une grotte ! La première qu'il trouvait depuis son périple dans la région. Il continua de marcher, au même rythme, imperturbable mais drainé par la fatigue. Après quelques secondes d'efforts finaux, Chris arriva à l'entrée de l'antre, éreinté. Il s'y engouffra non trop profondément, afin de garder une vue sur l'extérieur. Enfin, l'humain s'assit lentement en tailleur, légèrement adossé à la paroi rocheuse et peu confortable. Il positionna son sabre sous ses bras qu'il joignit en les engouffrant dans les manches de sa longue robe, et attendit, tête baissée. Il ferma les yeux, pour sommeiller mais prêt à se positionner sur la défensive si quelqu'un venait à l'agresser.

Chef du Clan Waïtevragh

L'aube se levait sur les Monts Hagards. Le Hurleur n'avait cessé de la nuit, balayant la neige sur son passage, effaçant toute trace d'une quelconque présence. L'avantage, c'est que peu de personnes s'aventurait dans les montagnes à cette période de l'année, et il ne subsistait que peu de trace du clan, le soir venu. L'inconvénient, c'est que le clan lui-même ne parvenait pas à déceler la présence de voyageurs venant leur rendre visite... ou les assaillir. Pour cette raison, Megara, chef du clan Waïtevragh, envoyait régulièrement des éclaireurs pour s'assurer de la sécurité de tout le monde. En cette matinée ensoleillée, c'est elle en personne qui partit sur le col, en reconnaissance. Le soleil était à peine levé, mais aucun nuage ne venait obscurcir la voûte céleste. Les étoiles disparaissaient graduellement, à mesure que le feu de l'astre solaire montait dans le ciel, le Hurleur avait cessé, et la neige ne tombait plus. Une belle journée en perspective. Vêtue de son habituellement robe bleue, ses plaques d'armures par-dessus et sa cape molletonnée enveloppant le tout, son épée à sa ceinture, elle sortit de sa tante aussitôt prête et se dirigea vers la sortie du clan, ses pas grinçant sur la neige fraîche. Elle salua les quelques lèves-tôt déjà au travail d'un bref hochement de tête et fut bientôt arrêtée par un homme à l'imposante stature, à peine plus grand qu'elle, aux traits similaires.

-Où tu vas, comme ça ?
-Ismaël. Ce n'est pas le jour. Je vais faire un tour pour m'assurer que tout va bien. Allez, va dormir, tu en as bien besoin.
-Je t'accompagne, on sait jamais ce qui pourrait se passer.
-J'ai survécu à six mois de torture, crois-moi, je m'en sortirai.
-Justement, j'ai pas envie que ça recommence. Tu m'as manqué.
-Tu m'as manqué aussi, petit frère, mais je t'en prie... j'ai besoin... d'être un peu seule. S'il te plait.

Ajouta-t-elle avec un léger sourire. Ismaël lui rendit son sourire, bailla aux corneilles, et consentit à laisser passer son chef, qui était avant tout sa soeur ainée. Megara repartit d'un pas lent, régulier, afin de ne pas se fatiguer à cause de toute cette neige qui faisait faire des pas légèrement plus grand qu'à l'accoutumée. Son frère la regarda s'éloigner, un mauvais pressentiment lui pinçant le coeur, puis se retourna à son tour pour aller se coucher car il avait passé la nuit à veiller, comme c'était son tour de garde.

La jeune femme marcha pendant presqu'une heure, les yeux tantôt sur l'horizon, tantôt devant elle, à la recherche d'éventuelles traces, mais rien mise à part ses propres empreintes. Elle trouva une pierre assez large, et s'accorda une courte pause pour boire à son outre de l'eau fraîche qui lui tomba glacée dans l'estomac. C'est au moment de repartir que...

-Tiens tiens...

Elle s'accroupit pour mieux observer l'empreinte qu'elle avait trouvé. Une seule. Pas deux, ni trois. Une unique empreinte de pas. A en juger par la forme, ce devait être un homme de poids assez léger. L'empreinte était presqu'effacée et ne permettait hélas pas d'autres comparaisons afin de récolter plus d'indice et puis, la neige n'était pas le meilleur sol pour une telle expertise. La forme était dirigée semble-t-il un peu plus bas, vers un autre col, en direction des grottes. Mais ce n'était qu'un supposition. Meg, ayant gardé une certaine curiosité malgré tout, propre aux Waïtevragh, décida de se diriger dans cette direction. Tout en marchant, elle se demander sur qui ou quoi elle pouvait tomber. L'empreinte ressemblait plus à une empreinte de pas humain qu'un quelconque Makaï, mais sont-on jamais. Et puis, elle avait le don de s'attirer des ennuis, alors...

Arrivée à l'entrée de la grotte en question, elle mit la main droite au pommeau de son épée, prête à dégainer en cas d'attaque. Elle mit quelques seconde pour s'habituer à l'obscurité, et commença à discerner vaguement une forme, non loin de l'entrée. Elle cligna plusieurs fois des paupières pour forcer ses yeux à s'accoutumer plus rapidement et vit bientôt un homme, assez jeune, pas beaucoup plus qu'elle, assis - ou du moins, il avait dû s'endormir assis -, une lame sur les genoux, endormis.

Rassurée que ce ne soit pas un Makaï, elle resta tout de même sur ses gardes. Un humain seul, ici, c'était tout de même étrange. Soit c'était un esclave et dans ce cas, son maitre ne devait pas être loin, ou c'était un brigand, et il ne devait pas être seul non plus... ou bien c'était un humain égaré tout simplement. Partagée entre ces différentes solution, Megara voulut en avoir le coeur net. Il en allait de la survie de son clan.

-Hum hum. Excusez-moi... EXCUSEZ-MOI ! Je... pardon de vous réveiller, qui êtes-vous ?

Elle avait beau s'excuser, le ton n'y était pas. La belle blonde avait perdu de sa diplomatie dans les geôles de Luka I... elle en avait même peut-être perdu un morceau de son âme... Sous ses airs de fragiles femmes au visage d'ange, se cachait un coeur de pierre à la main sûre, et forte...

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Sous sa longue cape, Chris respirait, lui offrant un peu d'air chaud dans ce froid sans merci. C'était également un excellent somnifère ; personne ne résiste au sommeil dans une situation aussi confortable. Mais tout était relatif. Chris était assis, il lui fallait bien se recroqueviller légèrement pour ne pas attraper de rhume - chose qu'il avait subie des centaines de fois... Ses pensées étaient floues, comme s'il entrait dans un sommeil profond, mais quelque chose le retenait. Il avait tellement eu l'habitude d'être assiégé par des bêtes sauvages durant sa solitude qu'il en venait à éprouver un sommeil stressant ; le cheveux entre la névrose et la psychose. Mais Chris était dur, confiant. Il saurait se remémorer qu'il était en territoire inconnu, certes, mais que son expérience lui permettrait de faire face à l'ennemi...

... Mais on lui annonça un retour à la réalité tout autre. D'abord, il commença par entendre une voix. Elle était féminine. Rêvait-il ? Une voix féminine en ces lieux ? Non, il rêvait. Et puis, il n'avait pas la tête à déterminer si c'était un rêve ou non. Cela faisait maintenant deux jours qu'il n'avait pas fermé l'œil. Mais la voix s'affirma à lui en agresser les tympans. D'un geste vif, il bondit, se relevant à une vitesse démesurée. Et si on venait l'agresser ? Tout se jouait maintenant, il devait absolument revenir à ses esprits, au péril de sa vie. Le sabre, lui, était partiellement dans les airs, projeté par la levée de l'humain. De sa main droite, il attrapa le fourreau au vol, légèrement en-dessous du niveau du manche. D'un vif coup de pouce sur la protection qui séparait la lame de la poignée, Chris éjecta son arme hors du fourreau, qu'il attrapa de sa main gauche dans la volée. Enfin, il la dégaina entièrement, laissant paraître son arme inversée dans toute sa splendeur, et pointa la jeune femme devant lui. Sa vue était encore floue, il lui fallait un temps pour identifier une humaine, n'ayant pas l'air visiblement agressive.

Bien que son visage fusse tapi dans l'ombre la plus totale de son capuchon, Chris fixait la femme dans les yeux. Non, elle ne lui voulait pas du mal, du moins, c'est ce que l'homme ressentait. Sa paranoïa s'adoucit légèrement, et il rengaina silencieusement, laissant s'échapper un son de ferraille qu'il appréciait un peu plus chaque seconde. Il porta une main à sa tête, confus, se massant ses yeux légèrement humidifiés par le manque de sommeil. Enfin, il rangea le fourreau à sa ceinture, en guise de non-agression. Ah, sa formation... Ça lui montait à la tête. Après un court instant, il fit :

- Navré, Dame. Je m'étais assoupi.

Chris éprouvait un terrible sentiment honte, c'en devenait presque paralysant. Il restait alors figé, sur le sol. Comme si il s'attendait à ce que cette femme rétorque des représailles pour le punir de son impolitesse et de son manque de diplomatie. Il détourna la tête, un peu confus. Il avait bien l'air idiot, là, avec son identité masquée. Ça pouvait paraître presque déconcertant : un humain enfoui sous une longue cape blanche, qui fait tout un baratin ridicule parce qu'il croit se faire agresser. Mais où va le monde ? Par ailleurs, il avait déjà oublié la question que lui avait posée l'humaine.

Chef du Clan Waïtevragh

Le jeune homme se réveilla en sursaut et sauta sur ses pieds, attrapant son sabre au vol dans un même mouvement qui aurait impressionner Meg en d'autres circonstances, il y a longtemps. Là, elle haussa simplement un sourcil, ce qui était déjà en soi, une certaine marque d'intérêt venant d'elle, puis observa l'humain rengainer son arme, alors qu'il prenait conscience qu'aucun danger ne le menaçait.

- Navré, Dame. Je m'étais assoupi.

Megara poussa un soupir et pénétra un peu plus dans la grotte. Le vent se remettait à souffler au-dehors, malgré le beau temps de la matinée. Elle s'assit à son tour près d'un paroi, posa son épée à côté d'elle, et ses mains sur ses genoux. D'un geste de la tête, elle fit signe au jeune homme d'enf aire de même et lui reposa une fois de plus la question.

-Ne voyez pas dans ma question un quelconque affront, mais j'aimerai vraiment connaître votre identité. Par les temps qui courent, on est jamais trop prudent. Je ne vous ferez aucun mal parce que vous êtes un humain, mais si vous m'avouer être au service d'un Makaï, je vous renverrai chez vous illico. Vous ne semblez pas me connaître et je ne sais trop si c'est une bonne idée de vous la révéler. Mais après tout...

Elle marqua une courte pause le temps de boire de nouveau une gorgée de son outre, la referma et continua.

-Je me nomme Megara Waïtevragh et je suis chef de mon clan. Nous sommes des rebelles, pourchassés par les Makaï d'Haarkon car nous sommes des humains libres... et pour d'autres raisons surtout que vous n'avez pas à connaître pour le moment. D'où venez-vous ? Et où allez-vous ?

La jeune femme ferma les yeux une seconde, puis les rouvrit, attendant la réponse du jeune homme, qui semblait confus d'avoir ainsi réagit face à elle.

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Chris était dans l'embarras le plus total. Cette femme avait soupiré, preuve qu'il était plus passé pour un comédien qu'autre chose. Mais il ne se laissa pas faire et repris son sérieux. La femme ne faisait aucun geste brusque. A cela s'ajoutait que son visage paraissait doux. Doux, seulement en apparance ; Chris n'était pas dupe. Une femme habillé en guerrière, voilà tout ce qu'il y avait de plus respectable ! Voyant qu'elle allait s'installer probablement pour discutailler davantage, Chris répondit à l'invitation de la dame et alla se poser en face d'elle, toujours tête sombre. Il s'assied lentement, marquant une prospérité intérieure infinie et une bienveillance sans faille. C'est alors que son interlocutrice commença à prendre la parole. Lui, était toute ouïe.

-Ne voyez pas dans ma question un quelconque affront, mais j'aimerais vraiment connaître votre identité. Par les temps qui courent, on est jamais trop prudent. Je ne vous ferai aucun mal parce que vous êtes un humain, mais si vous m'avouer être au service d'un Makaï, je vous renverrai chez vous illico. Vous ne semblez pas me connaître et je ne sais trop si c'est une bonne idée de vous la révéler. Mais après tout...

Chris fut doublement surpris. Déjà, il s'agissait d'un accent peu commun, bien que cela ne fusse pas si étonnant, étant donné les lieues qui séparaient ses terres d'origines des régions où il se trouvait, là, en ce moment-même. D'autre part, bien qu'il eût vu le terme "Makaï" dans l'ouvrage qu'il avait honteusement dérobé dans une bibliothèque - la langue se devait d'être maîtrisée, après tout - jamais il n'aurait pensé qu'un conflit quelconque existait entre ces deux espèces.

- Si je puis me permettre, damoiselle, n'ayez nullement crainte. Si l'on suit votre logique : supposons que je sois esclave de cette race que vous appelez Makaï ; je vous aurai abattue sans sommation. Chose que je n'ai pas faite.

Il jugea inutile d'invoquer la notion de sabre inversé, chose qui pouvait paraître tout bonnement ridicule. Après tout, Chris n'avait jamais tué qui que ce soit et n'avait jamais vécu la guerre, si ce n'est que des violences diverses. Et Mais rien de bien dur comparé à ce que d'autres peuvent avoir subi. Il reprit son souffle, et continua sur sa lancée.

- Oui, c'est la première fois que je vois votre visage, et je peux vous assurer que c'est la première fois que vous faîtes ma rencontre.

Il voulait dire, implicitement, que l'homme qui se cachait sous cette grande cape d'une couleur blanche neige n'était pas quelqu'un de commun en ces lieux. Il profita de cette latence pour fermer les yeux à son tour, s'apaisant. Il attendit que la guerrière se désaltérât, puis focalisa à nouveau son regard dans ses yeux, bien qu'elle ne pût en faire autant.

- Je me nomme Megara Waïtevragh et je suis chef de mon clan. Nous sommes des rebelles, pourchassés par les Makaï d'Haarkon car nous sommes des humains libres... et pour d'autres raisons surtout que vous n'avez pas à connaître pour le moment. D'où venez-vous ? Et où allez-vous ?

Sur ces paroles, Chris inclina légèrement la tête, accompagnant les paroles qui suivirent de légers gestes de mains, comme pour exprimer un respect à Mégara. En effet, la seule partie de son corps que Chris laissait visible n'était autre que ses mains. Enfin, il se redressa pour s'exprimer à intelligible voix :

- Mégara... fit-il, à haute voix, songeant, pour garder précieusement ce prénom dans un recoin de sa mémoire en attendant de l'utiliser plus fréquemment, je suis ravi de faire votre connaissance, cela va de soi. Cependant, ne prenez pas ce que je vous dirai comme une offense, mais mon identité et mon itinéraire n'ont aucune importance. Ce qui importe, c'est votre situation, Mégara... Vous dites intégrer un groupe de rebelles traqué par ces fameux Makaïs parce que vous n'êtes aucunement soumis à leur autorité... Intéressant... Et j'avoue ne pas avoir été persécuté par ces étranges créatures. J'aimerais, donc, de ce fait, que vous m'en disiez plus sur cette affaire. Ou, du moins, si tout cela s'avère compliqué et long, si possible, j'aimerais entendre les grandes lignes.

Il marqua une courte pause. Voyant que Mégara semblât naturellement réfléchir à comment pourrait-elle expliquer la situation, Chris ajouta :

- Allons, appelez-moi l'écaille blanche. Non pas que je n'aie pas confiance en vous, Mégara, mais parce que vous venez de me prouver que vos terres ne sont pas sûres. Puisse mon nom de code vous suffire.

Chef du Clan Waïtevragh

Malgré le tempérament dont elle était doté, malgré l'impatience des Waïtevragh qui parcouraient ses veines, Megara resta de marbre, respirant lentement pour calmer le feu qui brûler ses poumons, en écoutant attentivement ce que lui révélerait l'inconnu. Pour peu qu'elle avait pu en juger, il devait être un homme assez jeune, malgré tout, elle ne pouvait distinguer son visage, car il restait dissimuler sous une cape... une cape blanche, soit, mais une cape tout-de-même et cela l'agaçait un peu. Elle ne montra rien cependant, posa sa main sur son la garde de son épée à sa gauche, dans un geste machinal, comme pour se rassurer qu'elle était en mesure de se défendre... les vieilles habitudes ont la vie dure... Puis elle se redressa et entreprit de répondre au jeune homme.

-Ecaille blanche... c'est un nom qui appelle à la paix. Tout comme le mien. Waïtevragh signifie "drapeau blanc" dans la langue Makaï d'Haarkon. Mon arrière-grand-père était ainsi nommé en référence au linge blanc qu'il dressait face aux Makaï lors de la guerre d'il y a une centaine d'années... Les Makaïs, homme-animaux, comme nous les nommons, ne sont pas tellement différents de nous. Et pourtant, ils nous considèrent comme leurs inférieurs. Nous ne sommes pour eux que des esclaves, car nous ne sommes pas capables de nous défendre, incapable de survivre par nous-mêmes. Encore si nous avions le choix... mais ce n'est pas le cas. Ou en tout cas, ce n'était pas le cas, il y a encore quelques années, quelques mois... Mon père lança une attaque contre le Duc de Lushan, Luka Ier et fut emprisonné et réduit en esclavage. Il est mort devant moi, sous les coups répétés du fouet. Je me suis juré... j'ai juré à mon clan, et par là-même, à l'humanité toute entière, que je libérerai les hommes de leurs chaînes, de leur attachements aux hommes-animaux. Un jour, nous pourrons marcher, rire, vivre libre, tous ensemble... Mais pour l'heure, ce n'est qu'un rêve...

La jeune femme avait de nouveau fermé les yeux, repensant à une période antérieure, faite de souffrance, autant physiques que morales. Elle avait juré à ses frères, à sa soeur, à sa mère, que plus jamais aucun membre de son clan n'aurait à souffrir de l'esclavage comme son père, comme elle... plus jamais un enfant Waïtevragh ne portera les cicatrices du cuir sur son dos... Enfin, elle rouvrit les yeux et fixa l'ombre sous la capuche de l'inconnu.

-Vous auriez pu être un humain au service d'un Makaï, ce n'est pas pour autant que vous m'auriez tuer sur le champ. Au contraire, vous m'auriez peut-être implorer de vous libérer... Quoi que... je sais quelques humains préférez leur condition d'esclave à la liberté, car au moins, ils sont assurés sur ce que leur réserve l'avenir... nous, les humains libres, notre avenir n'est pas tracé, bien au contraire... notre destiné est libre... comme nous.

Elle s'adossa à la paroi derrière elle, relâchant les tensions de son corps, et soupira. Puis elle continua, car Ecaille blanche lui avait posé une autre question. Il voulait en savoir plus sur "l'affaire".

-L'affaire en question me concerne directement. Il y a six mois, je me suis rendue responsable de la mort du Duc Luka Ier en personne. Il est mort de ma lame. Je n'ai pas eu le moindre remord en le voyant mourir. Car même si ce n'est pas lui qui m'administrait les coups de fouet en personne... c'est tout comme. J'ai tué aussi quelques uns de ses soldats. Je suis recherché par la milice de Luka II, son fils et haï par la plupart des Makaïs, si ce n'est tous... Après tout... je ne suis qu'un humaine...

Elle se tut de nouveau, attendant de voir ce que la révélation de meurtre aurait sur le voyageur. Elle reprit une gorgée d'eau et recroisa ses jambes en tailleur, posant sa lame sur ses genoux, qui brilla un court instant, avec un rayon du soleil qui perçait au-dehors. Le Hurleur avait cessé. C'était décidement une belle journée.

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Chris était toute ouïe, alors que Megara lui révélait des informations capitales, qui allaient probablement le faire basculer de vagabond à une autre cause. Il se tenait droit, éprouvant une certaine empathie pour la femme qui semblait éprouver une grande peine à lui réciter les évènements passés. Il croisait ses doigts machinalement, puisqu'il ne connaissait nullement l'histoire du royaume et qu'il devait s'imprégner de la situation. En plus de cela, il avait naturellement confiance en Megara, puisqu'elle aurait pu le tuer dans son sommeil ; ce qu'elle n'a pas tenté. Le fait qu'elle essayât simplement de le réveiller signifiait tout. Une approche brutale n'était, effectivement, pas nécessairement une malsaine intention envers l'autre...

Après que Megara eût fini d'expliquer les faits à Chris, ce dernier se saisit à son tour d'une gourde qu'il piocha sous ses vêtements pour se nettoyer la bouche pâteuse qu'il avait parfois au réveil. Il avala deux gorgées, l'eau avait été refroidie par le climat, ce qui rafraichissait le jeune homme. Il aurait voulu se désaltérer davantage, sentant le liquide dans sa gorge lui procurer une sensation de plaisir. Mais il fallait économiser. Enfin, il reboucha soigneusement son récipient et le rangea d'un geste lent sous sa cape.

- Je vois... Ce continent est marqué par des moeurs qui consistent à soumettre les humains parce qu'ils dépendent de races "supérieures" - il avait haussé les mains et secoué ses doigts lors de la prononciation du dernier mot - et que celles-ci sont bien mieux dotées. Vous me dites homme-animaux, j'imagine déjà les humanoïdes... Je vois où vous voulez en venir.

Il marqua une courte pause, se construisant une image de la situation dans son ensemble et de ce qu'il pourrait faire pour aider Megara. Il secouait négativement la tête, surpris de tout ce qu'il avait pu entendre.

- Vous savez, Megara, je suis là par pur hasard. Je suis un vagabond sans but, non originaire de ses terres. J'ai échoué ici, et j'explore. J'ai une chance inouïe de vous avoir croisée, car je pense que j'aurais eu des ennuis si je m'étais retrouvé nez à nez avec un Makaï. De surcroît, nous avons des valeurs communes. Vous dites prôner la liberté et vous vous battez pour quelque chose de dû. Je pense que nul être n'a reçu de la nature le droit de commander sur les autres... C'est une honte !

Il s'était soudainement emporté. Il se relava, furieux, attrapant son fourreau pour l'empoigner fortement, regardant au dehors le temps qui s'était d'ores et déjà amélioré. Le soleil pénétrait l'entrée de la grotte, laissant tout de même les profondeurs dans une noirceur sans pareille. Il respira à grands coups pour contenir sa colère ; du moins, celle qu'il semblait partager avec Megara.

- Pardonnez-moi. Ce n'est pas digne de ma personne de m'emporter de la sorte. Marchons donc, je crois que vous avez de nombreuses choses à me dire.

Il réfléchit, puis s'approcha de Megara pour lui tendre une main. Bien qu'il s'attendît à ce qu'elle refuse, il ne pouvait s'empêcher d'avoir des manies de prendre soin de l'autre. Des habitudes qu'il avait acquises depuis sa plus tendre enfance. Mais il restait immobile, tendant une petite main qui semblait cependant musclée, celle-ci ayant empoigné un manche pendant plus d'une décennie.

Chef du Clan Waïtevragh

Après les confidences de la jeune femme, Ecaille blanche se leva d'un bond, empoignant son sabre et réagit comme Megara l'espérait. Apparemment étranger d'Haarkon et même des pays voisins que Megara ne connaissait que de nom, il devait venir de loin et semblait ignorer tout de l'histoire déchirante de l'humanité. Elle eut un sourire en le voyant s'emporter, le regard perdu au-dehors. Puis il revint dans la caverne et s'approcha de Megara lui tendant une main, lui semblait-il amicale pour l'aider à se relever, lui proposant d'aller marcher. Si la perspective de bouger réjouissait la jeune femme, en revanche, celle de toucher la main d'un inconnu n'était pas dans ses prérogatives. D'une, elle n'était pas du genre à faire ami-ami avec n'importe qui, de deux, elle était une guerrière et les actes trop intimes la répugnaient... de trois, ce qu'elle avait vécu il y a quelques mois était encore trop frais dans sa tête et elle repoussait le contact avec les hommes en particulier, exception faite de ses frères, bien évidemment. Elle se releva donc, mais seule, ne s'occupant pas plus de la main du jeune homme et se dirigea vers l'extérieur.

- Je me suis déjà part trop éloignée de mon clan, ils vont finir par s'inquiéter, je vais devoir rentrer. J'ai beau être leur chef, nous sommes plus une famille qu'une armée, et mes absences prolongées exacerbent leurs sensibilités déjà à fleur de peau. Je suis au regret de ne pouvoir vous présenter mes frères, mais nous souhaitons préserver notre liberté, et nous ne révélons l'emplacement du clan qu'à très peu de personnes de confiance. Si nos chemins se croisent de nouveau un jour, je pourrai éventuellement envisager de vous y emmener et de vous narrer plus en détails les origines du clan Waïtevragh et qui étaient mes ancêtres. Qui sait... le monde est plus petit qu'on se l'imagine, j'ai l'impression.

Ajouta-t-elle en esquissant ce qui ressemblait le plus à un sourire sur ses lèvres fines en direction du jeune homme. Puis elle se tourna vers l'étendue blanche, s'enveloppa un peu plus dans sa cape blanche bleue bordée de fourrure blanche et commença à s'éloigner de la grotte, dans la direction d'où elle était venue.

-Je suis ravie d'avoir fait votre connaissance, Ecaille blanche. Et peut-être à bientôt. Regardez où vous mettez les pieds, la montagne est dangereuse par ici. Choisissez vos interlocuteurs et priez les dieux de ne pas tomber entre de mauvaises mains...

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Chris retira sa main, voyant que Megara avait prit l'initiative de se lever seule. Un légère sensation désagréable parcourut son corps tout entier : celle de la honte. Elle, était rude, forte, endurcie. Lui, avait ses manies d'être serviable et avait la main sur le cœur, ce qui ne lui réussissait pas toujours. Il se recula de deux pas, baissant légèrement la tête, paraissant ridicule plus que jamais. Mais une lueur d'espoir brilla en Chris lorsque son interlocutrice évoqua la notion de famille, de frères, de sensibilité voire de narrer quelque chose de capital. Il redressa alors la tête, comme un chien redresserait ses oreilles, à l'affut. Il cru percevoir un sourire de la part de la femme, mais il semblait trop... ettouffé. Comme si ses zygomatiques ne lui permettait pas d'arquer davantage ses lèvres. Cette tristesse infinie rappela à Chris un évènement douloureux, et il s'abstint de toute exhibition de tristesse par un simple ravalement de salive. Enfin, la femme termina sur ses mots :

- Je suis ravie d'avoir fait votre connaissance, Ecaille blanche. Et peut-être à bientôt. Regardez où vous mettez les pieds, la montagne est dangereuse par ici. Choisissez vos interlocuteurs et priez les dieux de ne pas tomber entre de mauvaises mains...

- Tout le plaisir est pour moi, Megara. Je crois au destin, et celui-ci fait très bien les choses. Seulement, cette fois, je préfèrerais avoir une piste, un endroit à atteindre. Connaissez-vous des lieux fréquentés dans ce duché hostile ? On ne sait jamais... Je refuse de vagabonder davantage, et il me faut étudier la contrée dans laquelle je vis et dans laquelle je risque de rester un long moment. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps...

Bien que cela n'en fusse l'air, Chris avait fait une sorte de serment. Il allait renoncer à une liberté totale, enviée, pour répondre à des contraintes et des obligations. Mais il avait quelque chose à prouver, quelque chose à accomplir. Il glissa son fourreau sous sa ceinture, dorénavant apaisé. La quête serait dure, mais une chose était sûre : l'écaille blanche utiliserait ses capacités et son savoir à bon escient.

Chef du Clan Waïtevragh

Megara n'eut pas le loisir de quitter les lieux comme elle l'entendait, que l'inconnu l'interpela une dernière fois. La jeune femme soupira légèrement, fermant les yeux avant de se retourner, comme si de rien n'était vers celui qui lui demandait de le surnommer Ecaille blanche. Elle fit quelques pas vers lui car elle n'était pas du genre à crier pour se faire entendre, pas en de pareilles circonstances. Elle planta son regard sous la capuche de l'homme, à l'endroit où elle pensait trouver son regard. Elle ne rencontra que ténèbres...

-Pourquoi vous obstinez-vous à aller vers une destinée qui n'est pas la vôtre ? Demanda-t-elle calmement. En réalité, ce n'était pas réellement une question, mais plutôt une incompréhension qu'elle tentait d'éclaircir. En réalité, je ne crois plus au destin... Il m'a trop souvent joué des tours. Si vous allez plus avant en contre-bas, vous trouverez Haven, la capital du duché de Lushan. Il n'y a que des Makaïs par là... et des esclaves. Je vous le répète : soyez prudent. Il est parfois plus sage de renoncer à la connaissance pour sa survie. Ne parlez jamais de moi à quiconque... et je ne sais pourquoi je vous fais confiance...

Elle resta pendant quelques secondes sans rien dire, puis se retourna calmement et repartit, plantant ses pas dans ces anciennes traces, en direction du haut du col, où de l'autre côté, plus loin, elle retrouverai les siens. Ils lui manquaient, elle était restée trop longtemps absente. Ismaël en ferai tout un fromage de chèvre !!!! Elle le voyait d'ici gesticuler en tous sens à la recherche de sa grande soeur, se faisant du mauvais sang, se demandant si elle était morte ou pire... de nouveau captive. Car oui, si la mort n'effrayait pas Megara, redevenir esclave était sa plus grande peur...

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désolée, post très court, je manquais d'inspiration pour la fin de ce rp. j'espère que ça te va quand même.[/hrp]

Invité

[hrp]Si y'a bien une personne avec qui tu n'as pas à t'excuser pour ce genre de chose, c'est bien moi. Ton niveau est nettement supérieur au mien, et puis, il faut qu'il y ait un effort des deux côtés pour tenir la route. C'est moi qui suis désolé de ne pas t'avoir incité à en faire plus.[/hrp]

A peine Chris eut-il lancé ses dernières paroles qu'il vit la belle Megara se retourner, soupirant. Il grimaçait à l'idée de lui faire perdre patience. Il se tient droit, croisant les bras sous sa robe. Alors qu'elle approchait, son coeur battait. Il n'avait jamais été fâché par une femme, et ce spectacle le mettrait mal à l'aise. Il retint sa respiration, voyant qu'elle essayait de planter ses yeux bleus dans les siens.

* Ses yeux... Ils sont magnifiques. *

- Pourquoi vous obstinez-vous à aller vers une destinée qui n'est pas la vôtre ?

Chris resta silencieux. Certes, il n'y avait aucun justificatif véritable au fait qu'il vienne s'immiscer dans les affaires de la dame, mais il ne pouvait rester là, à rien faire. Il compatissait, au fond de lui, parce que Megara vivait des moments difficiles et ne dormait que d'un oeil, probablement.

- En réalité, je ne crois plus au destin... Il m'a trop souvent joué des tours. Si vous allez plus avant en contre-bas, vous trouverez Haven, la capital du duché de Lushan. Il n'y a que des Makaïs par là... et des esclaves. Je vous le répète : soyez prudent. Il est parfois plus sage de renoncer à la connaissance pour sa survie. Ne parlez jamais de moi à quiconque... et je ne sais pourquoi je vous fais confiance...

A ces paroles, il se contenta d'un bref signe de tête positif. C'est alors qu'elle se retournait et qu'elle s'éloignait. Chris lui lança, avant qu'elle ne soit trop loin :

- Si jamais je vous trahis, je vous fais le serment de vous offrir ma vie, Megara. Je reviendrai dans peu de temps, je compte sur vous pour revenir en ces lieux de temps à autre.

Il la regardait disparaitre, savourant ces derniers moments où le jeune homme ne se sentait plus seul. Il était reconnaissant de la confiance que lui accordait la guerrière. Alors que la silhouette de cette dernière commençait à se faire minuscule pour disparaître à un détour, il tourna à son tour les talons, revenant sur ses pas pour se réfugier au même endroit. Haven... Capitale... Makaïs... Esclaves... C'était le début d'une grande aventure et d'une lutte acharnée, pour lui. Le mystérieux personnage qu'il avait rencontré il n'y a pas moins d'une semaine avait vu juste. Il se posa exactement au même endroit, sortant de quoi écrire pour résumer sa brève rencontre. Lorsqu'il eût terminé, Chris rangea ses affaires au fin fond de son inventaire, dans les multiples poches sur sa robe. Il se mit en tailleur, le sabre pendant sur l'épaule gauche, et s'endormit pour longtemps. Ses paupières étaient devenues insupportables à maintenir ouvertes. Il plongea dans un rêve, souriant...

[ça sera tout, je pense. Merci !]